Les voisines qu'on ne souhaite pas
C'est Piera, je ne la voyais qu'au petit commerce d'en bas, pour acheter le lait et le pain.
Hâve, le teint gris, la tignasse teinte en pourpre, elle vivait de ses charmes dans mon immeuble. Ses quatre enfants, puis trois, lorsqu'un accident de route emporta le cadet, étaient à l'école avec moi. Son mari contrebandier, qui l'avait épousée jeune adolescente, était mort dans un crash de camion, la nuit.
Piera faisait tache dans le voisinage bienséant du village. Un mélange de compassion et de dégoût faisait que tout le monde aidait un peu la famille, mais aussi que chacun se protégeait et se tenait à l'écart. Mille fois ma mère maudissait ce trafic de clients louches qui lui faisaient peur, pour ses propres enfants, mais quand même elle montait parfois avec un gros panier de bonnes choses en cadeau. C'était leur Noël. Ainsi des motions pour faire déménager Piera se heurtèrent toujours au sentiment de pitié pour les gamins.
C'est ce voisinage inquiétant qui m'a imposé une discipline extrême dans mes sorties, et qui a fermé à double tour la porte de mon appartement d'enfant face aux camarades de classe. Ce n'était pas sans raison, puisque les garçons de Piera ont mal tourné, qu'ils ont fait de la prison et sont devenus violents. La fille aurait été agressée chez elle encore enfant, avant d'être éloignée auprès d'une tante à Milan.
Il m'en reste un grumeau de peur aux tripes, qui remonte parfois, au tournant d'un palier, dans la rue, ou dans des cauchemars de mort. Très vite, la conscience que tout homme peut être un danger.
J'entends dire qu'au moins un des fils s'en est sorti, aujourd'hui. Il serait dans la compétition automobile. Je m'en réjouis.
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